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Je ne sais comment je dure...

Auteure : Christine de Pisan

Genre : poétique, lyrisme

Date de publication : avant 1430

Recueil : Rondeaux

Petite biographie

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     Christine de Pisan est une philosophe et une poétesse française qui a publié 16 livres et 3 critiques entre le XIVe et XVe siècle. Née à Venise en 1364 et fille d'un astrologue et médecin italien, elle fait néanmoins ses études à Paris après que son père rejoint la cour de Charles V de France. Elle reçoit ainsi la même éducation donnée aux filles nobles et commence très jeune à s'initier à la poésie. Quoique parlant italien couramment, toutes ses œuvres sont écrites en français. 

     A seize ans, elle épouse Etienne de Castel, un secrétaire royal. L'union est heureuse et ils ont trois enfants. Malheureusement Christine se retrouve veuve une dizaine d'années plus tard, son mari succombant à une épidémie. Elle décide alors de vivre de sa plume - ce qui est inhabituel pour une femme de son temps - pour faire vivre sa famille et exprimer sa douleur et signe ses oeuvres de son nom. En 1418, elle se retire dans un couvent et meurt en 1430 au monastère de Poissy. Son travail majeur est accompli entre 1400 et 1418.

Je ne sais comment je dure...

Je ne sais comment je dure ;

Car mon dolent coeur fond d'ire,

Et me plaindre je n'ose, ni dire

Ma douloureuse aventure,

Ma dolente vie obscure,

Rien, hors la mort, ne désire ;

Je ne sais comment je dure.

Et il me faut par couverture

Chanter quand mon coeur soupire,

Et faire semblant de rire ;

Mais Dieu sait ce que j'endure ;

Je ne sais comment je dure.

                        Christine de Pisan, "Je ne sais comment je dure...",                                                                       Rondeaux, avant 1430

Mes impressions personnelles

et ce que j'aime dans la manière d'écrire de l'auteure

     J'aime beaucoup ce poème de Christine de Pisan - qui est d'ailleurs un auteur dont je n'avais jamais entendu parler auparavant - et il me donne à présent envie de lire ses autres oeuvres. "Je ne sais comment je dure" est simple à lire, avec un vocabulaire abordable. Il nous confirme également que Christine de Pisan a en effet reçu une éducation soignée, digne de celle d'une noble. 

     Un autre aspect qui m'a plu était sa manière d'écrire : il y a plusieurs enjambements (rejet au vers suivant d'un ou plusieurs mots nécessaires au sens du premier vers) - que j'ai soulignés en rouge ci-dessus - et je trouve que cela donne un certain charme au poème. Ce dernier a également les 3 types de rimes traditionnelles : la rime embrassée (ABBA) dans le premier quatrain - strophe à 4 vers -, la rime croisée (ABAB) dans le deuxième quatrain et enfin la rime suivie (AABB) dans le dernier quatrain. On observe également la structure d'un rondeau : en effet, ce poème est composé de 3 strophes d'heptasyllabes et d'octosyllabes. Par ailleurs, le nom du recueil nous l'indique.

       Ainsi, ce sont le vocabulaire utilisé, les rimes et la structure des vers (enjambements) et du poème (rondeau) qui m'ont poussée à choisir "Je ne sais comment je dure" .

Vocabulaire

Dolent : souffrant

Ire : chagrin, douleur, colère

Par couverture : par dissimulation

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"La douleur" de Courcelle

     J'associe le tableau ci-dessus au poème "Je ne sais comment je dure".

Ce qui m'a surtout frappée lorsque j'ai aperçu cette oeuvre est l'expression faciale de la femme peinte : un mélange de douleur  abyssale - d'où le titre de la peinture -, de désespoir, de désolation. C'est le visage de quelqu'un qui souffre terriblement et qui ne cherche qu'une seule chose : comment mettre fin à ce malheur, à cette misère. Effectivement, la jeune femme regarde vers le ciel, l'air de supplier les dieux de mettre un terme à son supplice.

     Observons à présent les couleurs utilisées : du bleu pâle, couleur liée à la pâleur de la mort - un cadavre est blanc, blême, de couleur pâle - ou bien au deuil - les fleurs des funérailles sont souvent de couleur pâle, elles sont généralement blanches et/ou mauves. 

      Dans le poème de Christine de Pisan, cette dernière exprime une profonde douleur à travers le champ lexical de la douleur : "dolent" v.2 ; "ire" v.2 ; "plaindre" v.3 ; "douloureuse aventure" v.4 ; "obscure" v.5 ; "mort" v.6 ; "soupire" v.9 ; "endure" v.11. Le poème a ainsi comme thème principal la douleur - comme le nom du tableau - qui s'exprime dans un registre lyrique (où l'auteur exprime ses sentiments). Elle mentionne également la mort et Dieu : 

"Ma dolente vie obscure,

Rien, hors la mort, ne désire" v.5-6

"Mais Dieu sait ce que j'endure" v.11

       Etudions maintenant cette douleur : Christine de Pisan venait de perdre son mari qu'elle aimait de tout son coeur lorsqu'elle s'est mise à l'art de la littérature. On peut donc en déduire qu'elle laisse ici transparaître son deuil, son affliction suite à ce malheureux événement.

      On peut alors établir un lien entre ce poème et la peinture : l'évocation de la mort, d'un éventuel deuil, un regard levé vers Dieu comme une supplique et la présence imminente d'une douleur immense.

Un passage que j'aime :

"Et il me faut par couverture,

Chanter quand mon coeur soupire,"

     J'aime beaucoup ce passage - tout d'abord parce que j'apprécie la présence de l'enjambement (je pense véritablement qu'il est bien placé, précisément à cet endroit-là) et le terme "couverture" au lieu de "dissimulation" (qui sonne moins beau) ainsi que l'expression "mon coeur soupire". Car un coeur ne peut réellement soupirer : mais un "coeur qui soupire" est un coeur qui n'a pas ce qu'il veut. C'est une citation écrite pour la première fois par Blaise de Monluc au XVIe siècle : "coeur qui soupire n'a pas ce qu'il désire". Elle fait ainsi référence au soupir poussé par une personne insatisfaite.

La douleur (2018)

Courcelle

Huile sur toile 18x24cm

Galerie Dernières Oeuvres

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Christine de Pisan écrivant dans sa chambre, 1407

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Blaise de Monluc, XVIe siècle

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