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Pluie de cendres

Titre : Pluie de cendres

Auteur : Laurent Gaudé

Genre : théâtral, tragédie

Date de publication : 1997

Maison d'édition : Actes Sud - Papiers

Nombre de pages : 39

Nombre d'actes : 4

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Laurent Gaudé, 2016

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Résumé

     C'est l'histoire d'une ville qui est assiégée. Exposée aux obus, il n'en reste que quelques ruines qui suffisent à peine pour protéger les derniers survivants. Ces derniers sont constitués de quelques femmes - dont on ne connaît pas le nom -, Korée, Ajac (son amant), Menda (le frère de Korée et l'ami d'Ajac), de Bratsch et d'un vieil homme nommé Argo. 

     Pris de désespoir, 3 hommes (Sarco, Menda et le vieil Argo) sont allés chez l'ennemi pour tenter d'établir la paix en donnant une explication - fausse - quant à l'arrivée des renforts. Malheureusement, leurs opposants n'y ont pas cru et ont tué Sarco d'une balle dans le crâne. Menda et Argo seuls ont réussi à leur échapper et ils ont pu rentrer à la ville et livrer la mauvaise nouvelle. Alors, au lieu de baisser les bras, les survivants ont été au contraire revigorés par un sentiment de vengeance, plein de haine envers le camp adversaire qui avait impitoyablement tué l'un des leurs. Seul Ajac reste en retrait, convaincu que la guerre est perdue d'avance et qu'il est inutile de continuer à se battre. 

      L'amant de Korée est d'ailleurs méprisé par ses camarades - Bratsch, le vieil Argo et les femmes - parce que ces derniers pensent tous qu'il agit par fainéantise et qu'il passe ses journées à rien faire et ses nuits à tramer quelque chose de suspect. Korée s'en inquiète également mais Ajac refuse toujours de lui dire la vérité. 

       Ce n'est que lorsque son seul ami et le frère de sa maîtresse meurt, tué par un obus, qu'Ajac commence à paniquer. Il lui a fallu tenir entre ses mains les restants - les entrailles sanguinolentes - de Menda pour se rendre compte que la ville était devenue un endroit trop dangereux pour Korée. C'est à ce moment-là qu'il révèle à cette dernière ce qu'il trafiquait durant les heures tardives : il donnait aux lignes ennemies tous les biens précieux des citoyens défunts en échange de préserver sa vie et celle de Korée. Ajac avait même creusé un tunnel menant hors de la ville et jusqu'au camp adverse, persuadé que les soldats ennemis lui épargneraient la vie grâce à tout ce qu'il leur avait donné. Il supplie ainsi Korée de fuir la ville, de partir loin de cet endroit qui n'avait plus rien à leur offrir à part la mort. 

      Mais Korée n'en croit pas ses oreilles, l'insulte et se jette du haut d'un précipice, s'ôtant la vie. Pendant ces temps-là, les femmes meurent une par une, Bratsch a perdu la raison et s'est probablement évadé en passant par le tunnel creusé par Ajac et on sait ce que devient le vieil Argo. Tout ce que l'on sait, c'est qu'Ajac lui a confié le corps de sa défunte bien-aimée et qu'à la fin de la pièce, c'est Ajac le dernier survivant. Le dernier des hommes. 

     Muni d'un seul pistolet, il attend les troupes ennemies, debout au milieu des ruines. Et ce n'est qu'à ce moment-là qu'il trouve la force et la volonté de se battre, plein d'amertume, de chagrin et animé d'un élan vengeur.

Mes impressions personnelles

      Intense, brève et avec un vocabulaire simple, cette pièce de théâtre est néanmoins très impressionante. Elle n'est peut-être pas très dynamique - il y a peu d'actions - mais c'est plutôt sa simplicité qui nous pousse à la lire. L'histoire n'est pas du tout alambiquée, loin de là : elle conte tout simplement le siège d'une ville. 

      Pluie de cendres n'est peut-être pas compliquée à lire et à comprendre mais cela ne fait pas d'elle une oeuvre ennuyante. Au contraire : le simple fait d'avoir un vocabulaire accessible nous permet - en tant que lecteurs - de bien suivre le fil des événements sans nous lasser de l'histoire. En plus de cela, étant donné que c'est une pièce de théâtre, il n'y a pas beaucoup de descriptions, il y a surtout des dialogues. C'est cela qui - selon moi - rend le texte plus dynamique et permet de compenser le manque d'actions durant l'histoire.

      Je recommande fortement cette oeuvre littéraire pour ceux qui n'aiment pas les longues pièces de théâtre ou pour ceux qui aiment les petites pièces tragiques. 

Analyse (à partir des scènes 6 et 7, Acte IV)

     Même si Pluie de cendres se termine sur une fin ouverte - Laurent Gaudé nous laisse imaginer ce qui se produira ensuite -, on peut tout de même en déduire le sort réservé au vieil Argo et à Ajac. Par ailleurs, l'emploi de "dernier" à plusieurs reprises dans le monologue de ce dernier nous affirme qu'il accepte finalement de se battre contre les envahisseurs après le suicide de Korée (en bleu) :

      D'autre part, l'emploi du présent et du futur simple de l'indicatif à maints endroits témoigne de sa détermination à lutter jusqu'à son dernier souffle et de sa certitude quant au déroulement des choses (en vert) : 

L'emploi du futur simple de l'indicatif présage ainsi les sorts des deux survivants restants et renforce également cette situation de défaite. C'est surtout l'affirmation d'Ajac "Ils vont venir maintenant" qui garantit cette débâcle. La comparaison "les encoches, comme des prières murmurées" scène 6 l.20 évoque la mort, les prières intensifient cette certitude d'échec. Cette dernière est accentuée par l'emploi du futur simple de l'indicatif.

      Tandis qu'Ajac se prépare au combat, résolu et déterminé ("je vais les attendre" l.39-40 ; "je vais me battre" l.42-43 ; "je vais partir à la chasse" l.44), le vieil Argo quant à lui, semble décidé à accepter la défaite et compte veiller sur les morts jusqu'à ce que vienne son tour. Il évoque d'ailleurs son décès : "lorsque j'aurai fini, je ferai une dernière encoche pour moi" l. 7-8

     Le personnage de Korée joue un rôle clé dans l'histoire : c'est lui qui "contrôle" d'une certaine manière Ajac. Celui-ci ne pensait qu'à elle, qu'à s'enfuir tous les deux au lieu d'aider ses compagnons à défendre la ville (même si c'était perdu d'avance) tant que Korée était en vie. Elle ne comprend cela qu'à la fin lorsqu'il lui dévoile son plan d'évasion et s'ôte ainsi la vie. C'est cela qui déclenche la détermination et l'envie de combattre d'Ajac. Soudain alimenté d'un noir chagrin et du sentiment qu'il n'a plus rien à perdre, il se tient debout au milieu des ruines et des cadavres avec une dernière pensée mélancolique et plein de regrets pour sa bien-aimée : "Je suis le dernier, tu as fait de moi le dernier, Korée, je ne suis plus qu'un poing serré sur une arme." l.47-48. Même indirectement elle agit, elle agit sur Ajac qui va se battre et sur le vieil Argo qui va veiller sur elle jusqu'à la fin ("Tu seras comptée. Argo est là. Jusqu'au dernier instant, je veillerai sur toi." l.25-26.)

      Laurent Gaudé a ainsi décidé de finir cette pièce de théâtre juste avant l'attaque des envahisseurs afin d'éviter l'effet tapageur et tristement accablant de la réalité. Refusant de mettre l'accent sur une fin aussi dramatique, il se focalise plutôt sur la détermination et le courage des derniers restants face à l'inévitable. La répétition du futur simple de l'indicatif avec comme valeur la certitude dans le dernier dialogue du vieil Argo (en rouge) et du verbe "aller" dans le monologue d'Ajac traduisent leurs volontés inébranlables.

Monologue d'Ajac (dernier dialogue), scène 7, p.38-39

Ajac seul.

AJAC. Voilà, je suis le dernier des hommes. Ils vont venir maintenant. (Il arme son pistolet.) La nuit tombe. Ils vont bientôt descendre des collines parce qu'ils ne peuvent pas s'en empêcher, parce qu'ils attendent cela depuis longtemps. Ils vont descendre avec la rage de piller et ils seront pris au piège. Je connais la ville. La nuit, ici, je suis invincible. Ils vont déferler sur la ville sans que plus aucune digue ne puisse les contenir. Il n'y a plus qu'Ajac, le lâche, le rat, qui sera là, pour les attendre. Tu avais raison Korée, il n'y avait que toi qui pouvais faire cela, me tuer ainsi. Je suis le dernier des combattants, et je vais les attendre pour en tuer le plus grand nombre, je suis le dernier et je serai le seul à n'avoir personne pour prendre soin de mon corps. Je suis le dernier et ils seront encore beaucoup à tomber sous mes coups. Je vais me battre, dans cette pluie de feu, au milieu de cette nuit qui tombe et que je connais bien, je vais partir à la chasse, et les proies seront innombrables. Ils ne m'attraperont pas. Car, de la ville je connais chaque pierre et chaque recoin, et leur sang bientôt coulera dans les rues comme un grand fleuve impétueux. Je suis le dernier, tu as fait de moi le dernier, Korée, je ne suis plus qu'un poing serré sur une arme.

Dernier dialogue du vieil Argo, scène 6, p.38

ARGO (il la prend). Korée, comme ton corps est lourd maintenant. Je peux à peine te soutenir. Il émane encore de ton corps le parfum violent de ton regard. Tu seras comptée. Argo est là. Jusqu'au dernier instant, je veillerai sur toi. Tu sentiras mes mains sur ton visage. Tu entendras ma voix dans tes cheveux. Argo est là. Je te mettrai en terre et je planterai sur ta tombe la forêt de stèles. Et ces bâtons scarifiés diront à jamais ce que tu fus.

Questions sur le texte

1. Que s'est-il passé de si terrible auparavant pour que la ville se retrouve assiégée ?

2. De quelle ville s'agit-il? Où se situe-t-elle ?

3. Qui sont les ennemis, pourquoi assiègent-ils cette ville ?

4. Pourquoi les derniers survivants ne se sont-ils pas rendus ? (ils auraient alors eu une chance de garder la vie sauve)

5. A quelle époque se déroule l'histoire ?

6. Que deviennent Bratsch, le vieil Argo et Ajac ?

7. De quoi s'est inspiré le dramaturge Laurent Gaudé lorsqu'il a écrit cette pièce ?

8. Combien de temps a duré le siège ?

9. Etait-ce une grande ville ? Combien d'habitants y avait-il au départ ?

10. Pourquoi y a-t-il aussi peu de didascalies (indications de mise en scène sur le ton, les expressions et les gestes ; elles sont souvent en italique) dans le texte ?

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"Paradis et Enfer"

Jérôme Bosch ou Hieronymus Bosch

Huile sur toile sur bois, 135x45cm

1510, Museo del Prado, Madrid, Espagne

"Paradis et Enfer" est issu de la peinture "Le Chariot de foin", de Jérôme Bosch

Pluie de cendres, par la Compagnie L'Aurore

Mise en scène : Frédéric Vern

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"Le Chariot de foin"

Jérôme Bosch ou Hieronymus Bosch

Huile sur toile sur bois, 147x232cm

L'Escurial, San Lorenzo de El Escorial (Espagne)

"Le Chariot de foin" est un triptyque (oeuvre peinte en 3 panneaux) qui représente - de gauche à droite - le paradis, la Terre et l'enfer. La Terre représente l'équilibre, entre le bien et le mal. La représentation de l'enfer a ainsi été utilisée pour la première de couverture de Pluie de cendres afin d'illustrer tout le malheur que subissent les survivants. 

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